Travail dissimulé et sous-traitance : le donneur d’ordre peut-il se contenter de recueillir les
documents visés par le code du travail ou doit-il aller au-delà des textes afin d’éviter de voir sa
responsabilité engagée ?

Le code du travail interdit de « recourir sciemment, directement ou par personne interposée, aux services de celui qui exerce un travail dissimulé »1.

Le législateur impose au donneur d’ordre de procéder auprès de son cocontractant à des vérifications documentaires initiales et périodiques précises, dès lors que le contrat conclu est au moins égal à 5.000 €.

Le donneur d’ordre doit vérifier que son cocontractant s’acquitte des formalités mentionnées à l’article L. 8221-32 et à l’article L. 8221-53 du code du travail, à savoir être inscrit au Registre du commerce ou au répertoire des métiers, lorsque cette inscription est obligatoire, avoir procédé aux
déclarations obligatoires auprès des organismes de protection sociale et de l’administration fiscale, avoir effectué les formalités nécessaires en cas d’emploi de salariés4.

Le code du travail prévoit que le donneur d’ordre doit se faire remettre par son cocontractant établi en France :

  • une attestation de fourniture des déclarations sociales et de paiement des cotisations et contributions de sécurité sociale émanant de l’organisme de protection sociale chargé du recouvrement des cotisations et des contributions, dite attestation de vigilance, datant de moins de 6 mois dont il s’assure de l’authenticité auprès de l’organisme de recouvrement des cotisations de sécurité sociale ;
  • lorsque l’immatriculation du cocontractant au Registre du commerce et des sociétés ou au répertoire des métiers est obligatoire ou lorsqu’il s’agit d’une profession réglementée, l’un des documents justificatifs prévus par le code du travail5.

1 Article L. 8221-1, 3° du code du travail.
2 Travail dissimulé par dissimulation d’activité.
3 Travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié.
4 Articles L. 8222-1 et R. 8222-1 du code du travail.
5 Article D. 8222-5 du code du travail. En présence d’un cocontractant établi à l’étranger, les documents que le donneur d’ordre doit se faire remettre sont visés aux articles D. 8222-7 et D. 8222-8 du code du travail. Le donneur d’ordre doit recueillir des documents complémentaires en présence de travailleurs détachés (C. trav. art. L. 1262- 4-1).


La question se pose de savoir si les vérifications imposées par le code du travail au donneur d’ordre sont suffisantes.

La réponse est non.

Selon une jurisprudence établie de la chambre criminelle de la Cour de cassation6, la rédaction de l’article L. 8221-1, 3° du code du travail, interdisant de « « recourir sciemment, directement ou par personne interposée, aux services de celui qui exerce un travail dissimulé », oblige le donneur d’ordre
à justifier de toutes les diligences et vérifications qu’il a effectuées spontanément auprès de son cocontractant pour s’assurer que celui-ci ne pratique pas du travail dissimulé, sous l’une ou l’autre de ses formes.

La Cour de cassation ne fixe aucune limite aux diligences et aux vérifications que doit accomplir le donneur d’ordre7. Elle laisse le soin au juge du fond de rechercher si elles sont pertinentes et suffisantes au regard des circonstances de l’espèce.

Elle va même plus loin et considère que les vérifications effectuées par le donneur d’ordre au titre de la solidarité financière ne valent que présomption du respect de ses obligations. En d’autres termes, elles ne suffisent pas à l’exonérer de sa responsabilité pénale dès lors que des éléments objectifs laissent à penser que le risque de travail dissimulé est a priori avéré.

Selon la Cour de cassation, les vérifications du donneur d’ordre ne peuvent être purement formelles et il ne saurait légitimement se disculper en alléguant avoir procédé aux obligations imposées par le code du travail.

Ainsi, un donneur qui s’était acquitté de son obligation légale a été reconnu coupable puisqu’il ressortait des faits qu’il ne pouvait pas ignorer le non-respect, par le sous-traitant, de ses obligations sociales et fiscales en dépit d’une régularité de pure forme8.

A travers cette décision, la chambre criminelle de la Cour de cassation tente de condamner certaines pratiques qui consistent pour un sous-traitant à ne déclarer régulièrement qu’une partie des salariés et à en utiliser d’autres de façon irrégulière.

Dans une autre affaire, le donneur d’ordre avait soutenu, sans succès, que « le respect des obligations prévues par l’article R. 324-4 du code du travail suffit à établir que l’entrepreneur n’a pas sciemment recouru à une entreprise de travail dissimulé, dès lors que seule une investigation plus poussée, que l’entrepreneur n’a pas à effectuer, aurait permis de mettre en lumière l’infraction »9.

6 Par ex. Cass. crim. 4 novembre 1997, n° 96-86211 ; Cass. crim. 27 septembre 2005, n° 05- 80170.
7 H. Guichaoua (ancien directeur du travail), Mode d’emploi pour le contrôle du travail dissimulé, Faire respecter l’ordre social, 3ème éd., octobre 2021.
8 Cass. crim. 11 janvier 2000, n° 99-80.823.
9 Cass. crim. 4 septembre 2001, n° 01-80013. Voir également Cass. crim. 7 septembre 1999, n° 98- 87099 ; Cass. crim. 30 octobre 2001, n° 01-80507 ; Cass. civ. 2ème 11 juillet 2013, n° 12-21554 ; Cass. crim. 1er décembre 2015, n° 14-85828 ; Cass. civ. 2ème 11 février 2016, n° 15-10168.


En conclusion, le donneur d’ordre doit procéder à des vérifications effectives et suffisantes, au-delà de la simple remise des documents au titre de la solidarité financière.

Les juridictions judiciaires font une interprétation large du devoir de vigilance : le donneur d’ordre ne peut pas se contenter des vérifications formelles et il doit tout mettre en œuvre pour vérifier que son cocontractant ne s’adonne pas au travail dissimulé.